CHAPITRE IX

 

La lumière de la salle de projection du MI6 se ralluma et Sir George Cornwell, le patron du service, se tourna vers Malko.

Les Britanniques n’avaient pas voulu se défaire de la cassette numérique découverte dans le caméscope trouvé dans la mosquée de Green Street, et avaient demandé à Richard Spicer et à Malko, arrivé la veille au soir à Londres, de venir la visionner dans le building d’Albert Embankment. En sus de Sir George Cornwell, John Gilmore – le traitant de feu Chawkat Rauf – et Mike Lansdale – le spécialiste du nucléaire au MI6 – assistaient à la projection.

— On m’aurait projeté ce film sans explications, je n’y aurais sûrement pas vu une arme atomique, reconnut modestement Malko. Mais je ne suis pas un spécialiste…

Sir George Cornwell fit un signe de tête à Mark Lansdale qui prit la parole.

— Mes collaborateurs et moi-même avons étudié ces images à fond. Il ne peut pas y avoir de doute : il s’agit d’un engin à rapprochement. Il est composé d’un orthocylindre[31] de 160 mm sur 160 mm, d’une part, et d’un autre cylindre de 120 mm de diamètre sur 160 mm de longueur, en forme de rondin, ces deux pièces étant en uranium 235. Le poids de l’orthocylindre est d’environ 27 kilos et celui du « rondin » de 33 kilos. Ce dernier est serti dans la partie propulsive d’un obus de mortier de 120 mm. Les deux morceaux de l’engin sont réunis par une glissière en plastique de deux mètres environ, d’une épaisseur de quelques millimètres, qui s’emmanche à la fois dans le mortier et dans l’orthocylindre. Lequel est fermé par une plaque en butée qui arrête le projectile et comporte un contacteur qui déclenche le fonctionnement d’une source neutronique. Celle-ci, d’après les images, est un tube neutronique de prospection pétrolière muni de son alimentation électrique et de son dispositif de déclenchement. Ce matériel est utilisé pour la recherche pétrolière et il est facile de s’en procurer en Chine, sans contrôle. Le rapprochement s’effectue lorsque le « rondin » de 160 mm, projeté par la charge de l’obus de mortier, vient s’encastrer dans l’orthocylindre, créant alors une masse critique d’environ soixante kilos qui déclenche la fission nucléaire, activée par les neutrons dégagés simultanément. C’est un dispositif extrêmement simple et très sûr.

Mark Lansdale se tut, ravi de sa démonstration. Malko en était stupéfait. Comme devant les scientifiques qui reconstituent la composition d’un objet céleste à partir de calculs théoriques.

— Et cela peut marcher ? interrogea-t-il.

— À tous les coups, confirma Mark Lansdale. L’espèce de berceau que l’on voit ensuite dans le film est le confinement lourd, qui est disposé autour de l’orthocylindre. Il est en plomb ou en acier et son poids doit être d’environ 500 kilos. L’encombrement total de l’engin est de deux mètres de longueur et il pèse entre 700 et 800 kilos.

— Tout cela doit être difficile à fabriquer ? Mark Lansdale sourit dans sa barbe.

— Même pas ! Il suffit d’un creuset haute température, comme celui que l’on voit dans le film, et d’un four. L’uranium a une température de fusion d’environ 1 143°. L’orthocylindre creux et le projectile en uranium 235 sont réalisés brut de fonderie, avec une légère rectification de surface, pour que le projectile se meuve sans difficulté dans la glissière. Des fours et des creusets similaires sont disponibles sur le marché chinois à des prix peu élevés et celui-là peut avoir été acheté par des sociétés-écrans pakistanaises sans attirer l’attention. L’assemblage est tout à fait possible dans un local semblable à celui qui est filmé. Évidemment, il faut pouvoir disposer du combustible, l’uranium 235.

Tout cela était effrayant… Sir George Cornwell reprit la parole.

— Nous sommes donc édifiés sur la partie technique de ce projet. Je voulais avoir votre avis sur son aspect psychologique, car vous êtes une des très rares personnes à avoir rencontré Oussama Bin Laden[32]. Pensez-vous qu’il approuve un tel projet, susceptible de faire des centaines de milliers de morts ?

— Sans aucun doute, confirma aussitôt Malko. C’est un illuminé de l’islam radical, acharné à détruire les « ennemis de Dieu », c’est-à-dire tous les non-musulmans. En plus, il a été humilié de devoir fuir l’Afghanistan en octobre 2001, chassé par les Américains.

Sir George Cornwell sembla méditer quelques instants, puis se leva.

— Well. Allons discuter dans mon bureau.

La pièce, située au dernier étage, offrait, à travers de larges baies vitrées, une vue magnifique sur la Tamise. Ses murs tapissés de boiseries d’acajou clair lui donnaient une allure plus traditionnelle que les autres étages. Un portrait en couleur de Tony Blair était accroché sous celui de la reine Elizabeth II.

Le patron du MI6 avait un petit bar de laque noire et proposa des boissons. Malko accepta une vodka, Richard Spicer un Defender « 5 ans d’âge » et le Britannique se servit un gin.

Dès qu’ils furent installés dans de magnifiques canapés de cuir bordeaux, Sir George Cornwell se tourna vers Malko.

— Richard vous a branché, je crois, sur Aisha Mokhtar, la maîtresse de Sultan Hafiz Mahmood. Ce film démontre qu’il joue un rôle crucial dans cette opération. Il y a de sérieuses chances pour que cette Pakistanaise soit en possession d’informations importantes. Pensez-vous avoir une chance de les obtenir rapidement ? Malko répondit sans hésitation :

— Sûrement pas. C’est une opération de longue haleine. Je l’ai invitée dans mon château ces jours-ci et ce n’est qu’un début.

Le Britannique et Richard Spicer échangèrent un long regard, puis Sir George Cornwell annonça d’une voix calme :

— Je pense que vous allez être obligé de la décommander…

— Vous comptez l’arrêter ?

— Non, mais nous avons d’autres projets pour vous. Nous souhaitons que vous partiez rapidement au Pakistan. Un pays que vous connaissez bien, je crois ?

— C’est exact, confirma Malko, mais serai-je plus utile là-bas ? Alors qu’en Europe, je suis le mieux placé pour « traiter » Aisha Mokhtar. Je pense qu’au Pakistan, votre service et l’Agence disposent de moyens puissants. M. John Gilmore, ici présent, paraît y avoir d’excellents contacts, puisque c’est grâce à lui que vous avez récupéré le caméscope.

— Vous avez raison, reconnut le patron du MI6, mais Richard Spicer et moi-même, après avoir consulté nos gouvernements respectifs, avons décidé de mener une action clandestine afin de nous assurer de la personne de Sultan Hafiz Mahmood. La maîtrise de l’opération étant confiée à la CIA, vous correspondez parfaitement au profil du chef de mission capable de mener à bien cette affaire.

Malko demeura impassible.

— Vous avez donc décidé de kidnapper ce Pakistanais ? conclut-il.

Richard Spicer lui répondit :

— Right.

Malko n’était pas vraiment surpris. Depuis le 11 septembre 2001, la CIA s’était affranchie de certaines règles légales dans les affaires de terrorisme. Le gouvernement italien, récemment, avait fait semblant de découvrir le kidnapping d’un certain Oussama Mustapha Hassan Nasser, activiste lié à Al-Qaida, enlevé en 2003 à Milan par treize agents de la CIA, et expédié ensuite en Égypte sur un Learjet de l’Agence fédérale américaine.

— Enlever Sultan Hafiz Mahmood, est-ce vraiment la meilleure solution ? demanda-t-il.

Sir George Cornwell but un peu de thé et avoua avec un sourire un peu contraint :

— Si cette affaire se passait dans un pays normal, nous ne penserions même pas à une solution aussi extrême. Mais le Pakistan n’est pas un pays normal. Si nous le demandons à nos homologues de l’ISI, ils vont, certes, arrêter Sultan Hafiz Mahmood, et vraisemblablement lui arracher des aveux. Seulement, cette affaire touche un point extrêmement sensible : le programme nucléaire militaire secret du Pakistan. Ils risquent donc de nous livrer une version expurgée de ses aveux. Et si nous insistons pour l’interroger nous-mêmes, il lui arrivera un « accident » cardiaque.

— Je pense, effectivement, que vous avez raison, reconnut Malko.

Richard Spicer enfonça le clou, à son tour.

— Chaque heure compte, martela-t-il. Maintenant que nous sommes certains que ce n’est pas un bluff, nous devons coûte que coûte retrouver la trace de cet engin nucléaire, afin de pouvoir prendre des contre-mesures. Sultan Hafiz Mahmood est en mesure de nous l’apprendre. Et aussi à qui cette bombe est destinée.

— New York ? avança Malko.

— Peu importe, coupa Sir George Cornwell, il faut agir vite.

— Vous comptez l’emmener aux États-Unis ? demanda Malko à Richard Spicer.

C’est le patron du MI6 qui répondit.

— Non, ici. L’IRA nous a habitués à utiliser parfois des méthodes peu orthodoxes, mais efficaces…

— Vous êtes absolument certain qu’on ne peut pas tordre le bras des Pakistanais ? insista Malko.

Sir George Cornwell le regarda droit dans les yeux.

— My dear, je vais vous raconter une histoire. En 1998, à Islamabad, un de nos agents en poste dans cette ville – un garçon brillant et plein de séduction – avait noué une liaison avec une jeune Pakistanaise nommée Nina Aziz. Le père de cette dernière était officier supérieur de l’aviation pakistanaise et, par ce biais, elle était introduite dans des cercles très fermés. Bien entendu, notre agent l’avait chargée de recueillir des informations sur le programme nucléaire pakistanais… Eh bien, un jour, on a retrouvé la tête de cette jeune femme dans une zone boisée d’Islamabad, au pied des Margalla Hills. Son domestique a été accusé du meurtre, sans aucune preuve. Quelques mois plus tard, il s’est pendu dans sa prison. Notre agent, lui, a été rappelé à Londres. Les Pakistanais, dès que l’on touche au nucléaire, deviennent féroces.

Un ange passa, la tête sous les ailes. Ce n’était pas la guerre en dentelles.

Le Britannique conclut :

— Votre mission est de ramener ici Sultan Hafiz Mahmood. Vous agirez avec l’appui total de nos deux services. Nous avons décidé, pour des raisons logistiques, que la CIA mènerait cette opération.

— Nous allons mettre tout cela sur pied, assura aussitôt Richard Spicer.

La réunion se termina un peu abruptement et Malko se retrouva, vaguement abasourdi, dans la Buick du chef de station de la CIA.

— C’est une affaire difficile, observa-t-il. Kidnapper un citoyen pakistanais en vue dans son propre pays…

— J’ai un executive order signé du président George W. Bush, s’empressa de répondre l’Américain. Cette affaire est remontée comme une fusée à la Maison Blanche, qui a sonné le tocsin. Les Brits sont beaucoup plus cools que nous. Ils pensent que cette charge nucléaire n’est pas destinée à Londres. Donc, ils restent un peu en retrait. Même si c’est grâce à eux que nous possédons l’information fondamentale : le film que vous venez de visionner.

— Richard, remarqua Malko, inquiet, vous savez bien qu’une opération semblable se prépare pendant des semaines, sinon des mois… Avec des risques énormes. Le Pakistan est en état de guerre larvée et l’ISI est partout. Nous risquons un échec grave.

— Je suis d’accord, reconnut le chef de station de la CIA, mais nous ne disposons pas de temps. Cette bombe atomique est en route vers son objectif. Nous ignorons quand ce film a été pris. Je tremble chaque matin en allumant la radio. Il n’y a pas une seconde à perdre. Nous avons une réunion à quatre heures, cet après-midi, dans mon bureau, avec les principaux participants à cette opération, dont notre chef de station à Islamabad que nous avons chargé de constituer un dossier d’objectif…

— J’espère que la communication était bien sécurisée ! soupira Malko. Avec qui suis-je supposé agir ?

— D’abord, avec deux garçons que vous connaissez bien : Chris John et Milton Brabeck. On les a déjà briefés et ils sont en route pour Islamabad, à partir de Washington. Ils arrivent officiellement pour renforcer la sécurité de l’ambassade. Ils seront logés dans notre compound.

Malko avait accompli des miracles avec les deux gorilles de la CIA qui le révéraient comme un Dieu. Cependant, le dispositif lui paraissait un peu léger.

— Trois intervenants, cela suffit ? demanda-t-il.

— Il faudra bien, soupira Richard Spicer. On ne peut pas infiltrer trop de gens sans alerter les Pakistanais.

La Buick ralentit pour s’arrêter sous le porche du Lanesborough.

— On se reverra à quatre heures, confirma l’Américain. À propos, j’ai besoin de votre passeport pour l’envoyer au consulat pakistanais, avec un petit mot. Officiellement, vous repartez chasser Bin Laden. Vous êtes trop connu là-bas pour qu’on vous fasse entrer sous I.F.[33]

 

*

*   *

 

Malko en avait le tournis. Certes, ce n’était pas sa première mission au Pakistan, mais enlever un homme en vue dans la capitale du pays, et le tout sans préparation… Revenu dans sa chambre, il se dit qu’il fallait garder deux fers au feu, et appela le portable d’Aisha Mokhtar. Miracle, elle répondit aussitôt.

— Malko ! C’est gentil de m’appeler. Devinez où je suis ? En train de déjeuner au Lanesborough, avec le jeune homme à qui j’ai posé un lapin l’autre jour. Et vous ? Toujours en Autriche ?

— Je suis à quelques mètres de vous, annonça Malko. Je viens d’arriver à Londres…

La Pakistanaise poussa un glapissement de joie.

— Mais c’est merveilleux ! Venez prendre le café avec nous.

Lorsque Malko débarqua dans la salle à manger un peu triste, il aperçut tout de suite une tache vive dans la grisaille : Aisha Mokhtar, moulée dans un tailleur orange qui semblait cousu sur elle, avec un décolleté carré offrant sa poitrine comme sur un plateau. La jupe très courte dévoilait des bas noirs et brillants. Une créature longiligne était installée en face d’elle, un blondinet qui paraissait sortir vainqueur d’un concours d’acné. Il se leva vivement et tendit une main molle à Malko, annonçant d’une voix nasillarde :

— Charles Newton Jones ! Vous êtes un ami d’Aisha, je crois ?

Le maître d’hôtel se précipita avec une chaise. À peine Malko eut-il allongé la jambe sous la table que celle d’Aisha vint se coller à la sienne. La Pakistanaise lui jeta un regard brûlant et dit d’une voix à arracher une érection à un mort :

— Comme je suis contente ! Vous restez combien de temps à Londres ?

— Je repars demain. Son sourire s’effaça.

— Comme c’est dommage ! Mais nous pouvons dîner ensemble ce soir. Je crois que Charles a un engagement.

Le jeune Britannique bredouilla quelques mots au sujet d’un dîner qu’il aurait très bien pu décommander, mais n’osa pas répliquer. Pendant qu’il signait l’addition, Aisha Mokhtar fixa Malko avec un sourire gourmand et dit à voix basse :

— Je vais me faire très belle ce soir…

— Restez comme vous êtes, fit simplement Malko en lui baisant la main. Ce tailleur est magnifique.

Si elle avait su qu’il s’apprêtait à kidnapper son vieil amant…

 

*

*   *

 

Des fenêtres du bureau de Richard Spicer, au quatrième étage de l’ambassade américaine, on ne voyait que les arbres de Grosvenor Square. Le bâtiment était entouré de barrières métalliques, de merlons de ciment, la circulation interdite et les policiers de la division antiterroriste de Scotland Yard embusqués partout, munis de gilets pare-balles et armés de MP 5.

Deux personnes se trouvaient déjà dans le bureau du chef de station.

— Voici le colonel Travis Mc Leary, annonça Richard Spicer. Il commande une unité d’hélicoptères des Blackhawk – à Spin Bolak, sur la frontière afghano-pakistanaise.

Le colonel Mc Leary avait de courts cheveux gris, ne mesurait guère plus d’un mètre soixante-cinq et semblait intimidé. Richard Spicer se tourna vers son second visiteur, un homme en costume clair, froissé, très brun, plutôt corpulent, qui semblait dormir debout.

— Malko, William Hancock est notre COS[34] à Islamabad depuis trois ans. Il est arrivé ce matin. C’est lui qui a remplacé Greg[35]. O.K. Nous allons travailler.

Richard Spicer gagna le mur du fond, sur lequel étaient épinglées deux grandes cartes. L’une d’Islamabad, l’autre du nord du Pakistan, englobant la zone frontière avec l’Afghanistan. Prenant une règle, il la pointa sur un endroit situé à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’Islamabad.

— Ceci est le site archéologique de Taxila, annonça-t-il, là où se trouvent les ruines de trois villes bouddhistes, Bhir Mound, Sirkaph et Sirsouk. Durant la semaine, ces sites sont pratiquement déserts. Ils ne sont fréquentés que le vendredi et le samedi. Et encore. William, qui connaît bien les lieux, a repéré un endroit où l’on peut facilement poser un hélico.

William Hancock s’ébroua et ouvrit un carnet.

— Effectivement, confirma-t-il. À Sirkaph, il existe une surface plane, entourée de murs en partie détruits, parfaitement capable d’accueillir un Blackhawk. À proximité d’un stûpa qui peut servir de point de repère. C’est invisible de la route Peshawar-Islamabad. Le moment venu, nous y placerons une balise GPS qui guidera l’appareil sur sa zone d’atterrissage.

Richard Spicer déplaça ensuite sa baguette vers la frontière afghane, la posant sur un petit point en Afghanistan : Spin Bolak.

— L’unité du colonel Mc Leary est stationnée ici. Six Blackhawk qui patrouillent en Afghanistan, le long de la frontière, et effectuent parfois des déplacements au Pakistan. L’idée est la suivante : lorsque le jour J sera arrêté, nous aurons vingt-quatre heures pour que le colonel dépose une demande de survol du territoire pakistanais afin d’amener un officier de liaison à Islamabad. C’est déjà arrivé et les Pakistanais ne font aucune difficulté. La distance entre Spin Bolak et Islamabad est d’environ 150 miles, soit quarante-cinq minutes de vol. Pour Taxila, il faut compter dix minutes de moins. Le top de départ lui sera donné par moi. Il franchira la frontière et avertira la tour de contrôle de Peshawar de son altitude et de son cap. Ensuite, peu avant d’arriver à Taxila, il préviendra le contrôle d’Islamabad qu’à la suite d’une fuite de liquide hydraulique, il est contraint de se poser en catastrophe. Il avertira également, en clair, l’ambassade d’Islamabad. Les Pakistanais, à ce stade, n’auront donc aucune raison de s’alarmer. Une fois posé, le Blackhawk, avec un équipage de quatre hommes, attendra sans arrêter son rotor que le fourgon amenant le « sujet principal » et l’équipe qui l’aura récupéré arrivent. Le temps de les embarquer, il repartira en direction de Spin Bolak, avertissant les Pakistanais d’une avarie le forçant à faire demi-tour. Il n’y a aucune réaction hostile à redouter et, de toute façon, si la chasse pakistanaise basée à Peshawar devait réagir, nous avons un squadron de F-16 qui feront des ronds dans le ciel au-dessus de la zone frontière. Colonel, vous avez quelque chose à ajouter ?

— Rien, sir, approuva le colonel Mc Leary. Cela ne devrait pas poser de problème. Dois-je approvisionner l’armement de bord ?

— Oui.

— Quelle devra être ma réaction, au cas où des éléments au sol pakistanais voudraient m’empêcher de redécoller, à Taxila ?

— Vous les neutralisez, annonça froidement Richard Spicer. Votre hiérarchie vous donnera des instructions à ce sujet. Toute cette opération est couverte par un finding du Président.

Impressionné, le colonel Mc Leary n’insista pas. Malko se gratta la gorge et dit :

— Vous venez de décrire un plan d’exfiltration parfait. Mais avant, comment cela doit-il se passer ?

Le chef de station se tourna vers William Hancock.

— Bill, c’est à vous.

Le chef de station but une grande gorgée de café et vint se planter devant le plan d’Islamabad.

— Sultan Hafiz Mahmood a déménagé. Il habite désormais dans le quartier le plus chic, le carré, ou plutôt le triangle, de Mehran 8, situé entre l’avenue Kyaban-e-Iqbal et Siachin Road, presque en face de la mosquée Jamia Faridya ; une maison dans Fourth Street, une voie en impasse donnant sur Siachin Road. Sa villa est la troisième et porte le numéro 5. Il n’y a qu’une seule entrée dans Fourth Street, surveillée en permanence par des policiers en uniforme stationnés au coin de Siachin Road, reliés par radio à leur QG. Tous les matins, vers huit heures trente, Sultan Hafiz Mahmood va faire son jogging, le long de Siachin Road, jusqu’à la mosquée Shah Faisal. Certains jours, il se dirige vers le zoo, dans la direction opposée. Il court sur le terre-plein qui longe Siachin Road, une zone herbeuse avec quelques arbres.

— Il est seul ? demanda Malko.

— Non. Il a toujours deux gardes du corps, des policiers de l’ISI, qui courent avec lui.

— Armés ?

— Très probablement, mais nous n’avons pas pu le vérifier : ils portent des joggings assez amples.

— C’est tout ?

— Depuis que nous l’observons à la jumelle, oui, mais nous n’avons pas assez de recul.

— D’autres opportunités ? insista Malko.

— Non. Quand Sultan Hafiz Mahmood se déplace dans la journée ou le soir, il est toujours accompagné d’une voiture de protection et un garde du corps est assis à côté de son chauffeur. En plus, il utilise une Mercedes blindée.

— Donc, conclut Malko, vous avez décidé de le kidnapper pendant son jogging.

— Right, confirma Richard Spicer. Vous utiliserez un véhicule de location loué par M. Chris Jones. Un autre véhicule, un fourgon blanc, sera stationné au coin de l’avenue Kyaban-e-Margalla et de l’avenue Shalimar, avec les clefs sous le pare-soleil. Cela vous fera une distance très courte à parcourir avec le premier. Bien sûr, les Pakistanais, dès l’enlèvement, vont boucler les sorties de la ville, mais le fourgon blanc ne leur aura pas été signalé. Celui-ci portera une plaque de Peshawar. Ensuite, il n’y aura plus qu’à rallier le Blackhawk. Une demi-heure plus tard, vous quitterez l’espace aérien pakistanais…

Richard Spicer semblait parfaitement détendu. Malko eut un sourire ironique.

— À propos, qui va se charger de neutraliser les deux policiers ?

— C’est prévu. Vos deux baby-sitters. Un chacun.

— Comment ?

— Ils utiliseront des fusils tirant des seringues hypodermiques chargées d’un très fort anesthésique utilisé pour neutraliser les animaux sauvages lorsqu’on veut les soigner.

Il semblait ravi de sa trouvaille et Malko ne put s’empêcher de remarquer :

— Il y a une petite différence de poids entre un éléphant et un Pakistanais…

— Les doses seront étudiées en conséquence, promit le chef de station. Il paraît que cet anesthésique agit très rapidement.

— C’est à souhaiter, fit Malko.

Un ange passa, masqué, et s’enfuit vers les frondaisons de Grosvenor Square. Tout cela était parfait mais Malko se permit de mettre les pieds dans le plat.

— Et s’il y a un problème ? Si les Pakistanais réagissent ?

— Vous avez l’ordre de ne pas résister. Si les choses tournaient vraiment mal, je pense que le film en notre possession les ramènerait vite à la raison. Des images montrant Oussama Bin Laden en compagnie d’un des créateurs du programme nucléaire militaire pakistanais, devant un engin fabriqué vraisemblablement avec du combustible nucléaire pakistanais. C’est gênant. Il s’agit de la sécurité des États-Unis et le Président n’est pas disposé à accepter de mauvaises excuses. Avez-vous des questions à poser ?

Un silence de plomb lui répondit. Malko savait qu’il s’agissait d’une opération à hauts risques, avec de nombreux risques d’échec, mais il n’avait pas le choix : quelque part dans le monde, un engin nucléaire de dix kilotonnes était en route vers sa cible et il fallait tout faire pour le retrouver. Richard Spicer lui tendit une épaisse enveloppe.

— Voici votre passeport et le visa, votre réservation au Marriott d’Islamabad, de l’argent et des photos de Sultan Hafiz Mahmood.

— Et s’il se défend ?

— Si c’était le cas, trancha Richard Spicer, il est prévu de le neutraliser comme ses gardes du corps. Les baby-sitters s’en chargeront.

Malko prit l’enveloppe. Ce n’était pas la première fois qu’un grand Service kidnappait un criminel de guerre ou un terroriste dans un pays étranger, mais ces opérations étaient préparées longtemps à l’avance. Pas improvisées.

— Vous avez averti Aisha Mokhtar du changement de programme ? demanda Richard Spicer.

— Je dîne avec elle ce soir, confirma simplement Malko.

 

*

*   *

 

Le premier bouton ouvert de la veste du tailleur orange offrait les seins d’Aisha Mokhtar, sur le balconnet carré, comme sur un plateau. D’un animal, on aurait dit qu’il était en rut. Comme il s’agissait d’une femme du monde, elle avait seulement un coup de cœur. Sa jambe collée à celle de Malko, sous la table, elle la frottait doucement, écoutant le crissement des bas. Ils avaient dîné chez Annabel’s, dans Berkeley Square, essentiellement de caviar et de vodka.

Elle se pencha au-dessus de la table, faisant presque jaillir ses seins du tailleur, et dit à voix basse :

— Je voudrais aller dans ta chambre d’hôtel. Cela m’excite. Je n’ai jamais baisé au Lanesborough.

— Pourquoi pas ! approuva Malko, excité par cette femelle en chaleur.

Aisha Mokhtar était vraiment une créature de feu… Elle soupira.

— Tu dois vraiment partir demain matin ?

— Mon billet est déjà pris, assura Malko. J’ai rendez-vous à New York à deux heures… Mais je ne serai pas long. Si tu veux, je repasse par Londres et nous partirons tous les deux en Autriche. À mon retour.

— Magnifique ! approuva la jeune femme. Demande l’addition.

Elle sortit la première du restaurant et Malko, en découvrant sa croupe moulée par l’étroite jupe orange, se dit que ces adieux promettaient d’être très excitants.

À peine dans la Bentley, elle posa la main sur lui, et assura, ravie :

— Tu as déjà envie de moi !

Ses yeux nageaient dans le sperme. La courte jupe orange un peu remontée, il apercevait la lisière du bas. Il glissa une main entre les cuisses gainées de noir, mais ne put aller très haut, tant la jupe était étroite. Les doigts fuselés d’Aisha le massaient doucement dans la pénombre. Impassible, Chaudry, le chauffeur, semblait ne rien remarquer. Lorsqu’ils arrivèrent au Lanesborough, Malko était tout juste présentable. Dans l’ascenseur, il acheva d’ouvrir la veste de tailleur, découvrant une guêpière de dentelle noire, dont le haut laissait dépasser les longues pointes des seins, dardées. Il les fit rouler entre ses doigts et Aisha commença à haleter, frottant son bassin contre lui, le regard flou, la bouche entrouverte. Malko comprenait pourquoi Sultan Hafiz Mahmood avait été fou d’elle…

Dans la chambre, elle se débarrassa de sa veste, noua ses bras autour de la nuque de Malko et enfonça jusqu’au fond de son gosier une langue vibrante comme celle d’un lézard. Il essaya d’atteindre son sexe mais la jupe était si étroite qu’il ne put qu’effleurer le nylon de son string.

Aisha s’était déjà emparé de lui. Elle se laissa tomber à genoux et l’enfourna dans sa bouche pour une des fellations sauvages dont elle avait le secret. Par moments, elle se redressait et enserrait le membre raidi entre ses seins gonflés.

Au bord du plaisir, il sentait qu’il ne tiendrait pas longtemps à ce rythme. Il la força à se relever, défit le Zip de la jupe orange et la tira jusqu’à ce qu’elle tombe par terre.

Aisha la suivit et, allongée à plat dos sur la moquette à fleurs, arracha sa culotte de satin noir et lança à Malko d’une voix pressante :

— Baise-moi, par terre, comme une salope…

Les jambes ouvertes, les mains sous ses reins pour se soulever, elle rugit quand Malko plongea son sexe d’un seul trait au fond de son ventre. Il s’immobilisa, bien abuté, imprimant à son membre un mouvement circulaire. Aisha râlait comme une mourante, jouissant sans arrêt, le corps secoué de spasmes.

Malko se retira alors doucement et aida la jeune femme à se retourner. À peine fut-elle à plat ventre sur la moquette épaisse qu’elle se cambra comme une chatte qui veut se faire saillir, les bras en croix, les ongles dans la moquette. Superbement érotique dans sa guêpière et ses bas.

Malko prit son temps, bien que tendu à exploser. Il se plaça au-dessus d’Aisha. Dès qu’elle sentit le sexe raide l’effleurer, elle ramena ses mains en arrière, écartant les globes cambrés de sa croupe, afin de s’offrir encore mieux.

Un geste d’une obscénité absolue.

Malko appuya légèrement l’extrémité de son sexe sur la corolle brune, puis se laissa tomber d’un seul coup de tout son poids. Verticalement, son membre s’enfonça dans les reins d’Aisha jusqu’à la garde. La jeune femme poussa un hurlement de folie. Tout son corps tremblait, comme si elle avait reçu une décharge électrique. Déjà, Malko se retirait avec une lenteur calculée, pour se laisser retomber avec la même violence. Aisha s’agitait comme un papillon cloué sur une planche anatomique, se soulevant pour mieux l’enfoncer en elle.

— Tu me violes ! râla-t-elle. Tu me fais mal…

Ce qui était totalement faux, mais elle avait besoin de se passer un film…

Ivre de plaisir, Malko ne se lassait pas de perforer cette croupe magnifique, avec une régularité de métronome.

 

*

*   *

 

Était-ce la vodka ou l’excitation trop forte ? Il n’arrivait plus à jouir, pourtant raide comme un manche de pioche, et Aisha ne semblait pas vouloir arrêter. Inondé de sueur, en traction au-dessus du corps de la jeune femme, il se laissait tomber de plus en plus lourdement, arrachant chaque fois un cri à sa partenaire. Il eut soudain l’idée de réunir les jambes largement écartées d’Aisha. La sensation fut si intense qu’il sentit enfin la semence jaillir de ses reins.

Aisha hurla lorsqu’il se vida en elle. Assouvi, il bascula sur le dos, afin de reprendre son souffle, arrachant des reins violés un membre toujours raide. Aussitôt, Aisha roula sur elle-même et vint prendre son sexe dans sa bouche, comme pour en extraire les dernières gouttes de sperme. Enfin, elle se laissa aller en arrière, les bras en croix, et Malko gagna la salle de bains, épuisé, pour se jeter sous la douche.

Il regagna la chambre, drapé dans une serviette. Il sentit tout de suite qu’il y avait un problème. Aisha avait remis sa jupe et rentré ses seins dans sa guêpière. Le regard noir, elle brandit dans sa main droite un billet d’avion.

— Pourquoi me mens-tu ? lança-t-elle d’une voix furibonde. Tu pars au Pakistan, dans mon pays. Pour quoi faire ?

Malko réalisa la vérité en une fraction de seconde : elle avait trouvé son billet d’avion posé sur le bureau. Ne prévoyant pas sa venue, il ne l’avait pas mis en sûreté. Il mit quelques secondes à redescendre de son petit nuage érotique. Maudissant ce contretemps…

— Je ne voulais pas que tu me poses de questions, expliqua-t-il. Mon voyage n’a rien à voir avec toi.

— Tu me mens !

— Non, j’ai des gens à voir à Islamabad. Des investisseurs. Je ne mélange jamais mes affaires avec ma vie privée. Mais, que j’aille à Islamabad ou à New York, cela ne change rien. Je serai de retour dans quelques jours.

Aisha Mokhtar le fixait, se posant visiblement beaucoup de questions. Elle lança soudain :

— Tu connais un homme qui s’appelle Sultan Hafiz Mahmood ?

— Non, affirma Malko sans ciller. Pourquoi ? Aisha le fixa longuement, puis détourna les yeux.

Malko fit un pas dans sa direction mais elle l’esquiva.

— Je n’aime pas qu’on me mente, dit-elle. Ne cherche plus à me revoir, à ton retour. C’est dommage.

Sans un mot de plus, elle remit la veste de son tailleur, prit son sac et sortit en claquant la porte. Malko s’assit sur le lit : si le kidnapping de Sultan Hafiz Mahmood réussissait, Aisha lui serait beaucoup moins utile. De toute façon, il connaissait son adresse, possédait ses téléphones. On verrait, à son retour d’Islamabad.

Si retour il y avait…

Ce genre d’opération improvisée se terminait souvent très mal. Et il connaissait la lâcheté des dirigeants de la CIA, qui méritait bien son surnom de CYA : Cover Your Ass…

À la réflexion, la mission qu’on lui avait confiée était complètement folle.

Aurore noire
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